La radicalité va-t-elle nous tuer, ou nous sauver ?

La radicalité va-t-elle nous tuer, ou nous sauver ?
Le grand chêne noir de mon jardin, et son aura naturelle qui ressort même sur les photos (sans filtre).

Tout arbre semble tiraillé en permanence par deux forces opposées.

Ses racines veulent s’enfoncer toujours plus profondément dans le sol. Comme si elles voulaient ne faire qu'un avec cet univers dense, sombre et froid mais doté d'une grande stabilité et d'une multitude de richesses et de ressources à partager.

Alors que sa cime est attirée inlassablement par le soleil, sa chaleur et sa lumière. Elle se déploie avec légèreté et foisonnement dans cet espace aérien, qui se caractérise aussi par sa grande variabilité, balayé par les vents froids de l'hiver, la saison des pluies et désormais les canicules estivales.

Entre les deux, un tronc commun fait office de pont indispensable entre ces “deux mondes” que tout oppose sur le papier. Mais sur le papier uniquement, car en réalité ces deux mondes, ces deux forces qui semblent s'opposer représentent le nécessaire équilibre dans les cycles permanents de la vie d’un arbre.

Si l’espèce humaine était un arbre, elle se trouverait dans cette même apparente dualité. Une partie d’elle semble être attirée toujours plus profondément vers le centre de la terre, tandis qu’une autre veut s’élever toujours plus haut vers le ciel et les étoiles.

On peut le voir à l’échelle de l’individu, tiraillé entre un besoin d’ancrage, de rester les pieds sur terre ou parfois de “retrouver ses racines” et d’un autre côté ce besoin irrémédiable de grandir, de s’épanouir et de s’émanciper.

Un territoire régional fait face au même besoin d'équilibre entre la préservation de sa culture, de son patrimoine local et la nécessité de se connecter aux territoires alentour (dans une optique de résilience) et même de s'ouvrir au tourisme afin de promouvoir et partager ses richesses avec le monde !

On pourrait aussi bien étendre cette métaphore jusque dans la vie politique française.

Si la vieille rivalité “gauche-droite” a un peu disparu, elle a été remplacée par une dichotomie alternative qu’on pourrait résumer ainsi :
D’un côté une vision “Pro-système / Pro-libéralisme” qui voudrait aller toujours plus loin dans la voie actuelle, et qui s'oppose à une vision “Anti-libérale / Anti-système” qui prône la volonté de changer radicalement de fonctionnement, de trouver une autre voie que celle qui est la nôtre en occident depuis 50 ans.

À l’intérieur de ces 2 visions, il y a aussi de très grandes divergences sur la direction à prendre et la façon de le faire… De la même manière que les racines et les branches d’un arbre peuvent prendre des directions très différentes.

Personnellement je me trouve dans une position un peu particulière : j’ai clairement grandi dans un cadre socio-culturel favorable au libéralisme et à son évolution, et j’ai été dans la première partie de ma vie plutôt un “bénéficiaire” de ce système.

Mais depuis un peu plus de 5 ans, mes différents choix de vie et l’évolution de mon entourage et de mon cadre de réflexion font que je suis au contact régulier de la vision opposée à ce système.

Je suis presque heureux d’être ainsi “Le cul entre deux chaises”. J'ai l'impression de connaître un peu les 2 côtés du pont. Cela me permet souvent d’affiner mes réflexions, de remettre en cause de vieilles certitudes et d’y voir plus clair sur la réalité. En tout cas sur ma réalité.

Mais depuis quelque temps, je ressens une certaine inquiétude dans la façon dont les choses évoluent. J’ai l’impression que ces deux visions n’arrivent plus du tout à communiquer. Pire, qu’elles n’en ont plus vraiment envie.

Elles s’enferment chacune dans une forme d’illusion qui tend au mieux à dénigrer aveuglément les apports de la force opposée, quand ça ne va pas jusqu’à lui renier son existence …

C’est un peu comme si chacune des deux parties de l’arbre voulait littéralement scier le tronc qui les relie. Oubliant au passage qu’aucune ne peut vivre sans l’autre.

La crise des gilets jaunes, puis celle du Covid ainsi que la crise environnementale devenue quasi permanente ont particulièrement exacerbé cette forme de fracture, rendant toute forme de compromis apparemment impossible.

De chaque côté du pont, on crie sa vérité, mais on n’écoute plus vraiment celle de l’autre …

Cette radicalité extrême, qui se retrouve par exemple dans le débat autour de la réforme des retraites, notamment au sein de nos représentants politiques, n’est qu’une nouvelle illustration de mon inquiétude du moment.  

Le pire dans tout ça ? C’est que politiquement, c’est “efficace” …

Vu le niveau de tension actuelle, on pourrait même se demander s’il est encore utile d’exprimer des points de vue nuancés et complexes quand seuls les discours radicaux et simplistes sont portés dans les médias et entendus par la majorité.

Cette radicalité qui semble prendre le pas sur toutes nos discussions va-t-elle se solder par la victoire définitive d’un camp, qui aurait plus raison que les autres et viendrait nous sauver de la catastrophe, quelle qu’elle soit ?

Ou va-t-elle au contraire nous précipiter dans un mur infranchissable ?

Pour répondre à ces interrogations - sans tomber dans une forme de simplification d’un sujet complexe - prenons quelques instants pour clarifier le contexte et les raisons qui nous ont amenés jusqu’ici.

1/ Nous sommes dans un monde à très forte polarisation, et ça ne fait qu’empirer !

Aujourd’hui il semble que les idées et discours radicaux et opposés deviennent presque la norme :

  • Pour ou contre la réforme des retraites ?
  • Pro-vax ou Anti-Vax ?
  • Écologiste ou Capitaliste ?
  • Responsabilité individuelle ou collective ?
  • Pour ou contre le port du voile ?
  • Entrepreneur ou créateur ?
  • Plutôt steak-frites ou végan ?
  • Nucléaire ou énergies renouvelables ?
  • OM ou PSG ? ;-)

Je pourrais continuer cette liste pendant longtemps. Notre monde semble être tombé dans l’abysse de la dualité, où chaque sujet, chaque questionnement ne se traite plus que par une opposition stérile entre deux “camps”. Ou chacun a une opinion bien “tranchée”.

La logique guerrière semble avoir pris le pas, y compris sur nos sujets les plus triviaux du quotidien. Une simple question de vocabulaire culinaire devient parfois un combat au sabre laser : et toi, tu es dans le camp du pain au chocolat ou de la chocolatine ?

Si tu essayes de prendre le pour et le contre et de trouver une forme de “compromis”, de synthèse, généralement soit tu passes :

  • pour un lâche qui n’ose pas prendre parti ou qui essaye de proposer quelque chose de trop “compliqué”
  • pour un ennemi : si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi

Bien sûr, je fais là une légère exagération de la situation. Mais qui traduit une tendance de fond qui s’accélère selon moi, et nous rapproche d’un sérieux déséquilibre voire d’une fracture qui me paraît inquiétante.

Le discours de la nuance et de la complexité est devenu presque inaudible. 🙁

Au niveau politique c’est un vrai problème… encore que cette affirmation ne veut pas dire grand chose car le terme “politique” regroupe une variété de formes beaucoup trop larges et diverses.

Et que dans le champ politique se retrouve à la fois le siège des plus grandes réussites de l’exercice de la nuance (ici démocratique) et des plus grands échecs de l’opposition aveugle et affligeante.

Là où cette coexistence paradoxale est peut-être la plus clairement visible, c'est à l’Assemblée Nationale.

Celle-ci semble abriter deux mondes parallèles que tout oppose : d’un côté les séances de questions au gouvernement, sorte de pugilat moribond dans lequel il n’y a en réalité absolument AUCUN débat !

On voit juste des “camps” qui enchaînent les prises de paroles dans une mise-en-scène bien cadencée et organisée (2 min pour tel camp, puis 2 min de réponses, puis 2 min pour l’autre camp, puis 2 min de réponses, et ainsi de suite …).

La dernière séquence politique sur la réforme des retraites met en lumière cette accélération de la polarisation du débat public, dans lequel on s’affronte à coups de chiffres “chocs”, d’insultes et de quolibets, de grandes tirades romanesque où chacun y va de sa citation favorite ou de son petit jeu de mots.

On est dans le plus pur sophisme… Ça plaît beaucoup aux télévisions qui se font une joie d’en tirer des extraits pour leurs ouvertures du 20h ! Mais pour ce qui est de l’utilité pour trouver des solutions…

Après 15 jours de cacophonie, l’assemblée n’a même pas pu voter le texte avant que celui-ci ne parte au Sénat. C’était possiblement une stratégie volontaire de la part du gouvernement, mais même si c’est le cas, on peut dire que les opposants ont plus que joué le jeu.

Comme un parlementaire de la majorité le confiait récemment : “le grand perdant de cette séquence, c’est l’Assemblée Nationale dans son ensemble…”

👉
À noter que depuis que j’ai écrit ces lignes le mois dernier, le gouvernement est donc passé par l'article 49.3. Ce qui ne fait que confirmer mon analyse de la situation :-(

Et pourtant, dans l’ombre de ce grand théâtre désespérant se joue une autre réalité du monde parlementaire. Là où se déploient les nuances nécessaires et les désaccords féconds qui prennent en compte la complexité des situations, encore plus à l'échelle d’un pays !

Car avant de réussir à faire voter un texte de loi en plénière, on discute, on négocie, on amende, on réfléchit, on pèse le pour et le contre de certaines propositions, on pinaille sur une tournure de phrase ou le choix d’un mot.

Derrière les portes fermées des commissions parlementaires, là où sont réellement (ré)écrites les lois qui seront votées, les mêmes qui s’insultaient publiquement quelques heures auparavant discutent et négocient autour d’un café. On imagine presque une bonne ambiance franchouillarde.

Bon ça, ce n'est peut-être que le fruit de mon imagination optimiste ;-)

Car il y a une distinction fondamentale entre ces deux mondes parallèles : l’un d’entre eux est public, visible de tous et largement relayé par le biais des médias. L’autre est privé, ou simplement beaucoup moins médiatisé ou facilement accessible. On ne sait pas vraiment ce qui se dit ni comment se passent les choses dans ces commissions, sans même parler des négociations de couloirs…

Cette distinction public / privé, digne représentant de notre problème de dualité, se retrouve un peu partout : dans les entreprises, dans les familles, et même à l’échelle de l’individu moderne, qui semble lui aussi morcelé, écartelé entre ses différentes composantes.

Sur les réseaux sociaux, au travail ou dans les soirées, on met son plus beau masque social, on affiche haut sa “belle vie”, ses succès et ses voyages.

Peu de place pour le doute, le questionnement et les turpitudes de la vie privée. De toute façon, l’évolution des réseaux sociaux fait qu’on n’y partage plus que des images éphémères retouchées ou des vidéos de 30 secondes. Pas vraiment de quoi explorer la complexité du monde réel…

Je ne suis pas meilleur que les autres : quand je regarde mon profil Instagram, je me rends compte de cette tendance, inconsciente mais bien réelle, à partager plutôt des moments positifs et valorisants. Et même si je n'utilise jamais de filtre, cela reste une version très partielle et édulcorée de mon quotidien.

Si j’en parle ici c’est parce que l’individu moderne est une belle incarnation de cette problématique : à la fois cause et conséquence de cette forte polarisation du monde. Toujours tiraillé entre les différentes forces qui s'opposent en lui et autour de lui.

Nos différents “domaines de vie” semblent tous prendre plus de temps et d’énergie que nous en avons : famille, travail, santé, loisirs, amitiés, apprentissages, voyages, spiritualité etc…

Imaginons que 2h se libère d'un coup samedi matin : est-ce que je vais au sport, faire du jardin ou j'appelle cet ami que je n’ai pas vu depuis 6 mois ? Je démarre enfin ce bouquin qui prend la poussière sur mon étagère, ou je vais déjeuner avec la belle famille ? Ou est-ce que je revois une dernière fois cette présentation importante que je dois faire à mon client lundi matin ?

Nous semblons tous courir après le temps. Ce qui revient pourtant à essayer d’attraper des nuages.

Beaucoup d’autres composantes de notre être subissent un peu cette vision très cartésienne du monde moderne, qui tend à réduire et séparer tout ce qu’elle rencontre pour pouvoir mieux l’analyser.

Il y a par exemple l’opposition Cerveau Gauche / Cerveau Droit, qui est une vision passablement réductrice du fonctionnement réel du cerveau !

Dans les médias on entend régulièrement cette idée un peu simpliste, invitant chacun à se positionner et à valoriser son cerveau droit (créatif, instinctif) ou gauche (logico-rationnel), comme si les 2 étaient indépendants et opposés.

En réalité, nos deux hémisphères sont étroitement liés et l’activité cérébrale intègre un niveau d’interconnexion tellement profond que cette opposition binaire paraît totalement incongrue.

Tu as besoin de tes 2 jambes pour marcher, de tes 2 yeux pour voir avec précision et profondeur, et de tes 2 hémisphères cérébraux que ce soit pour une activité créative ou un calcul de probabilité !

Tu as même besoin de beaucoup plus que ça puisque chacune de ces activités mobilisent en réalité une très grande partie de ton corps et de ton esprit…

Si tu ne me crois pas sur parole et que tu te dis “attends si on nous parle tellement de cette distinction cerveau gauche - droit c’est bien qu’il y a une raison quand même !” je te dis bravo ;-)
Tu fais fonctionner ici ton esprit critique et je ne peux que t’en féliciter.

Il y a en effet une forme de “latéralisation” de certaines fonctions cérébrales. Mais en réalité nos connaissances de ce fonctionnement restent superficielles. Pour en savoir plus, je te renvoie à cet article de Cortex qui t’expliquera mieux que moi ce mythe des 2 cerveaux (ainsi que de nombreux autres “neuro-mythes”).

Cette liste d’opposition radicale de l’être semble pouvoir se décliner dans de nombreux domaines dans lesquels on cherche à faire rentrer les gens dans des cases opposées. Et toi, tu es plutôt :

  • Cérébral ou émotionnel ?
  • Expert ou généraliste ?
  • Introverti ou extraverti ?
  • Créatif ou rigoureux ?
  • Orienté action ou réflexion ?
  • Médecine conventionnelle ou santé alternative ?
  • ENTJ ou ISFP ? (pour les fans du MBTI)

Le piège de la dualité étant de traiter ces questions comme des interrupteurs “On/Off”, au lieu de les envisager comme des boutons de “volume”, des curseurs dont on peut faire varier l’intensité dans le temps et selon les situations.

2/ Mais comment en est-on arrivé là !?


Je n’ai pas la prétention d’avoir une réponse simple et complète à cette question !

Cependant j’identifie deux grandes raisons principales et interconnectées, liées à notre fonctionnement intérieur en tant qu’individu et à notre fonctionnement collectif en tant que société. Dans ces 2 fonctionnements, la façon d’entrevoir notre “relation au monde” est déterminante pour mieux comprendre la situation actuelle.

Au niveau individuel tout d'abord, une double explication majeure se trouve dans nos petits dysfonctionnements émotionnels et cognitifs.

Nos blessures intérieures

Quel que soit notre milieu social ou culturel, nous sommes tous soumis aux blessures liées à l’environnement familial et scolaire.

Lorsque l’enfant se construit, il entre en relation avec les autres, et de la nature de ses premières relations, de ses premiers doutes et conflits, des réactions de son entourage à sa construction, peuvent parfois naître des peurs, des frustrations, des humiliations, parfois des violences, brutes ou subtiles.

Pour y faire face, chacun développe des “stratégies” différente. Mais beaucoup s’appuient sur des formes de simplification ou d’altération de la réalité pour pouvoir mieux la gérer : ainsi les clans, les masques sociaux et la soumission ou la rébellion face à l'autorité permettent de réagir et de se protéger face à ces émotions désagréables.

Lorsque l’on ramène cela à une échelle sociale ou de groupe, on voit que c’est ainsi que se forment également la plupart des conflits inter-culturels ou sociaux : basés sur des peurs ou des frustrations et sous-tendus par des réactions de survie automatique.

Les groupes vont se choisir par “affinités électives” et réagir face aux autres groupes de la même manière qu’ils ont appris à réagir face aux “autres” dans leur enfance : dans des rapports de domination-soumission, de compétition, de violence, de méfiance ou d’indifférence.

Ces rapports de force se retrouvent d’ailleurs à l’intérieur même de ces groupes affinitaires, et viennent renforcer une forme de cercle vicieux que l’on retrouve dans le fameux triangle dramatique de Karpman (syndrôme du sauveur - victime - bourreau) …

Mais avant d’aller plus loin sur la problématique collective, il est aussi important de rappeler que notre système cognitif, qui se construit en partie dans l’enfance, pose parfois un sérieux problème. Car autant se le dire : il est plutôt fainéant et loin d’être infaillible :-)

Nos petits courts-circuits cognitifs

Plus précisément, c’est un système extrêmement “énergivore” lorsqu’il s’agit de réfléchir de manière approfondie et de s’attaquer à des idées/sujets complexes.

Et comme notre énergie et notre capacité d’attention sont limitées, il nous faut bien choisir, parfois consciemment, parfois un peu moins…

Ce fonctionnement a été théorisé par Daniel Kahneman et Amos Tversky, dont on peut résumer la proposition par le fait que nous avons 2 grands systèmes de pensée :

  • le système 1 : rapide, instinctif et émotionnel. De manière générale, c’est le système de raisonnement utilisé par défaut, car il est le moins coûteux en énergie. Il représenterait 90 à 95% de nos pensées...
  • le système 2 : plus lent, plus réfléchi et plus logique. Il ne supprime pas les données émotionnelles et instinctives, mais les remet en perspective dans un raisonnement plus large comprenant d’autres sources d’informations et de réflexions.

Le système 1 a une tendance forte à réduire la complexité pour pouvoir agir plus rapidement. Pour ce faire, il utilise régulièrement des raccourcis et des schémas de pensée qui sont plus simples à comprendre et à appliquer : la notion de dualité opposée en fait partie.

Jour-nuit, chaud-froid, gauche-droite, bon-mauvais, grand-petit, vrai-faux, humain-nature… système 1-système 2 ;-)

Si je mets ce dernier dans la liste alors que je viens moi-même de l'utiliser comme argument de mon propos, c’est volontairement pour exprimer le fait que :

  • Ce fonctionnement est bien utile et pratique !! Il nous permet d’aller plus vite et de trouver un compromis satisfaisant entre l’énergie dépensée et le résultat attendu.
    Heureusement qu’il existe, nous ne pouvons pas passer notre temps dans le système 2 sous peine de surchauffe cérébrale inexorable.
    > Dans le cas présent, cette théorie de système 1 - système 2 permet de comprendre facilement une partie importante d’un sujet éminemment plus vaste et nuancé, sans avoir besoin d'être docteur en Neuroscience ou de se plonger dans les milliers de textes de littérature scientifique sur le fonctionnement ultra-complexe du cerveau humain (et dont on ne connaît encore qu’une petite partie) …
  • Il est évidemment limité ! Tout comme la simplification “Cerveau Droit / Gauche”, ces 2 systèmes de pensées ne sont pas totalement indépendants et ne représentent pas forcément la totalité de comment fonctionne notre cerveau. Il y a fort à parier qu’ils sont plutôt en interactions et qu’il existe probablement d’autres “modes” de pensées

Ce qu’il faut retenir c’est simplement que notre fonctionnement cognitif est soumis à des raccourcis et des simplifications qui nous sont bien utiles, mais qui entraînent parfois des erreurs de jugements et de mauvaises interprétations.

La difficulté étant de savoir faire le tri dans tout ça, d’autant plus qu’une bonne partie de ces mécanismes sont globalement inconscients.

Il est toutefois intéressant de noter que de nombreuses études sur ces biais cognitifs ont été partiellement financées, puis ensuite largement utilisées, par différentes organisations et entreprises dans des logiques de marketing et de vente !

Les biais d’ancrage, de répétitions, de conformité sociale entre autres ont été exploités par les entreprises pour mieux nous “vendre” des produits et services. Le succès de ces méthodes a également influencé le milieu politique et les médias, dans des proportions qui semblent dangereusement s’accélérer depuis quelques décennies.

Le dérapage des systèmes collectifs

Les exemples des deux dernières élections présidentielles américaines avec une polarisation renforcée par les “nudges” et la manipulation des algorithmes de certains réseaux sociaux (Cf le scandale Facebook-Cambridge Analytica) ne sont sûrement que la partie émergée de l’iceberg…

Le système actuel favorise des “bulles d’entre-soi” où on ne voit et n’entend presque plus que des informations ou des opinions qui viennent renforcer nos croyances déjà établies.

Les biais de confirmation et de répétitions tournent à pleins régimes et dressent des murs qui nous séparent de l’autre. Au passage, c’est la capacité à faire preuve d’esprit critique qui en prend un coup. Tout comme une partie de notre santé mentale...

Certaines organisations jouent donc sciemment sur nos petits dysfonctionnements émotionnels et cognitifs pour en tirer profit, que ce soit au niveau économique ou politique.

Cela dit, indépendamment de toute volonté de manipulation, on voit bien que le traitement médiatique et politique des sujets de société suit une certaine tendance à la simplification et à la polarisation des débats !

Cela peut aussi s’expliquer par les nombreuses mutations extrêmement profondes et rapides de nos sociétés depuis l’après-guerre. Dans La guérison du Monde, qui m’a inspiré certaines réflexions de cet article, Frédéric Lenoir en dresse une liste que je trouve intéressante :

  • Essor de l’urbanisme au détriment de la ruralité (En 1900, 15% de la population mondiale vivait en ville, en 1950 c’était 30%, en 2025 ce sera 70% !)
  • Globalisation de l’information, de l’économie et des valeurs occidentales, pour le meilleur (droits de l’homme et démocratie) et pour le pire (consumérisme, individualisme et surexploitation des ressources naturelles)
  • Boom démographique et progression importante de l’espérance de vie et de la santé ! Qui sont de très bonnes nouvelles mais qui apportent leurs lots de questions sur nos modes de vie (impact environnemental et social d’un monde à 10 milliards de personnes ?) mais aussi la place à trouver pour nos “anciens” qui vivent désormais beaucoup plus longtemps et en meilleure santé
  • Accélération de la vitesse et du temps (perçu), et diminution de l’espace et de notre rapport à la nature et au monde réel. Internet, les réseaux sociaux, Uber Eats, Amazon, mais aussi le déploiement du télétravail, des réalités virtuelles et de l’IA sont autant de changements qui nous donnent l’impression (parfois l’exigence) que tout doit être disponible immédiatement, 24h/24 et 7j/7 !

    > La dématérialisation et l'Uberisation de l'économie se font souvent en ignorant (et parfois en cachant volontairement) le “coût réel” pour la société, qu'il s'agisse d'impact écologique, social ou de santé par exemple.
  • Phénomène de mondialisation, d’interconnexion et par là même de “complexification” du monde et de sa compréhension.

On pourrait en citer d’autres et notamment le changement climatique, mais on voit déjà que toutes ces mutations ont un impact non négligeable sur la vie des gens, leurs quotidiens et donc aussi leurs rapports au monde.

Pour schématiser, on peut dire que pendant les 30 glorieuses tous les grands “systèmes de valeurs” sur lesquels un individu pouvait compter (système familial, économique, politique, écologique, spirituel/religieux) jouissaient globalement d'une bonne stabilité ou d'une évolution positive. On savait où on allait, et comment y aller.

Désormais, tous ces systèmes sont régulièrement ébranlés et soumis à de grandes crises, dont l’intensité et la régularité semblent en croissance exponentielle.

Cette tendance de fond est tellement réelle qu’on lui a même trouvé un acronyme ! Nous vivons désormais dans un monde “VICA” : Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu.

Le gros problème avec cette situation, c’est qu’elle crée nécessairement de l’inquiétude et de la peur. Au niveau individuel et collectif. Or, lorsqu’il est soumis à la peur, l’humain est généralement encodé pour réagir de manière… radicale.

C’est le fameux “Fight or Flight” : la fuite ou le combat à mort ! Il y a aussi une autre réaction possible qui est la paralysie. Ce fonctionnement, hérité de notre passé de chasseur-cueilleur et en partie responsable de notre incroyable capacité de survie, est très utile dans une jungle hostile, face à un prédateur féroce.

Mais quand il s’installe dans un quotidien où la fuite n’est pas toujours possible et où le “combat” se mène souvent contre des ennemis invisibles - quand il ne se mène pas contre soi-même - cela vient plutôt renforcer ce mécanisme de stress, de peur et de réaction radicale.

Et ce qui est chiant avec la peur, c'est qu'elle a une certaine tendance pernicieuse à se propager de manière très rapide du niveau individuel au niveau collectif, et inversement...

C’est un cercle vicieux, pourtant bien connu, sans parler du fait que c'est un outil de manipulation assez efficace. Et ça nos chers dirigeants économiques ou politiques l’ont bien compris et s’appuient dessus pour garder le contrôle.

Quand le réflexe remplace la réflexion…


Car ce phénomène est amplifié par le fonctionnement démocratique, les dirigeants ayant comme principal objectif de… se faire (ré)élire.

Et pour cela, au vu du contexte que nous venons d'évoquer, il est clair que des propositions simples, chocs et qui caressent nos cerveaux et nos émotions dans le bon sens du poil sont beaucoup plus efficaces politiquement que des propositions nuancées, qui acceptent un certain taux d’erreur possible, un côté nécessairement “imparfait” car il doit prendre en compte la complexité croissante du monde et de son évolution permanente. (L’humain, la société et les différents systèmes dans leurs diversités)

Autrement dit, le système actuel ne favorise pas vraiment l'esprit critique ni les solutions intelligentes et adaptées à notre situation. Pour aller plus loin je te propose cette petite vidéo qui en moins de 10 min t'explique ça assez clairement, et avec une pointe d'humour plutôt appréciable ;-)

Il y a un autre domaine que je voulais aborder avant de conclure, car il a une très forte influence sur cette problématique, et fait le lien entre l’échelle individuelle et notre fonctionnement collectif. C’est la façon dont notre société entrevoit l’éducation et l’épanouissement des enfants, dans les familles comme à l’école.

L’école républicaine est à ce titre un triste exemple de cet apprentissage à la dualité et au cloisonnement de l’être : de longues périodes où l'on est assis derrière un bureau, à “étudier” des choses parfois très abstraites, et pendant lesquelles sont exigés calme, concentration et discipline pour tout le monde, selon des heures prédéfinies qui arrangent les adultes, sans prendre en considération le moins du monde le besoin des enfants.

Puis on alterne avec des périodes de “récréations” complètement opposées où c’est la foire d’empoignes, des cris et des pleurs, l’excitation jusqu’à l’excès… l’expression “c’est une cour d’école ici !” représente bien le sujet.

Ces pauses sont un peu comme des soupapes de décompression où les enfants font exploser toutes les énergies et frustrations accumulées pendant de longues heures de classe. Sans qu’on ne questionne s’il est normal que ces enfants soient à ce point pressurisés !

C’est aussi à l’école (peut-être autant que dans les familles) que s’apprennent les logiques de compétition, de domination-soumission, de clans, la peur de l'erreur. Et que se vivent certaines des blessures émotionnelles les plus profondes, qui resteront ancrées pendant de longues années.

Pourtant, les nombreuses propositions d’éducations alternatives (Montessori, Steiner, École démocratique, Instruction en famille…) montrent bien que d’autres voies sont possibles pour mieux prendre en compte la complexité du développement d’un enfant.

Mais l'école doit-elle aider nos enfants à s’épanouir, à devenir de futurs citoyens libres et responsables, ou bien simplement les former pour qu’ils puissent trouver un travail et rentrer facilement dans le moule républicain ?
Bon, je ne veux pas rentrer ici dans le débat sur la raison d’être de notre système éducatif, ce sera un beau sujet mais pour un autre article 😉

D'ailleurs ami lecteur j’espère que tu me pardonneras de ne faire ici qu’un résumé très simpliste et partiel d’un sujet évidemment beaucoup plus complexe, qui fait d’ailleurs l’objet de plusieurs centaines de livres et de débats sans fin dans les familles !

Alors quoi faire ? Y a-t-il un “camp” qui aurait plus raison qu’un autre ?

À nouveau mon propos n’est pas de dire qu’une vue simpliste des choses (ou ici l’école républicaine par exemple) serait “mauvaise” là où une vision complexe (et les écoles alternatives) serait la seule “bonne” façon de voir les choses… Ce faisant je ne ferais que tomber moi-même dans une pensée simpliste et binaire du sujet d’ensemble.

Bien au contraire, plutôt que de les opposer je pense qu’il serait plus approprié d’adjoindre ces 2 visions du monde qui ont chacune leur part de vérité et d’utilité. Non pas en les fusionnant dans un ensemble uniforme, qui supprimerait justement cette part de vérité, mais plutôt en les faisant cohabiter voire même entrer en synergie.

Car nul doute que chacune des approches a ses avantages et ses inconvénients et donc, en forme de miroir, des choses utiles à apporter à l'autre.

De la même manière que les racines et les feuilles d’un arbre, vivant chacune dans leur monde et fonctionnant de manière très différente, sont pourtant étroitement liées et apportent chacune des éléments indispensables à la bonne santé de l’arbre à laquelle elles sont reliées…

3/ Quel avenir pour une vision nuancée du monde ?

À mon sens, il nous faut donc valoriser cet esprit de synthèse et de nuances, capable de mieux prendre en compte la complexité du monde et des relations d’interdépendances qui le soutiennent.  

Ne plus répéter nos vieux schémas d'opposition stérile, de domination-soumission, de simplification radicale. Savoir prendre du recul et adopter une vision d’ensemble, qui ne peut plus se contenter d’une approche analytique qui a besoin de séparer-réduire-simplifier-uniformiser tout ce qu'elle rencontre. Et qui donc ignore voire mutile parfois une partie de la réalité au passage.

Einstein disait d'ailleurs :

On ne peut pas résoudre des problèmes avec le même mode de pensée qui les ont engendrés.  

Attention, il ne faut pas non plus jeter le bébé avec l'eau du bain, car cette approche cartésienne nous a beaucoup apporté et reste utile dans de nombreuses situations, mais elle montre aujourd’hui ses limites et ne peut plus être le seul prisme de notre relation au monde !

Il ne faut pas la supprimer, mais plutôt lui adjoindre des visions complémentaires et l’intégrer dans un cadre à l’image de notre monde : plus global, plus complexe et interconnecté.

La problématique de cette approche nuancée et complexe, comme j’ai essayé de l’exposer dans cet article, est qu’elle est moins visible, moins attrayante, moins affirmée et donc moins efficace pour se déployer dans le système actuel.

Et paradoxalement, il me semble qu’elle serait beaucoup plus appropriée et efficace pour faire face aux enjeux actuels et à venir. Et c’est bien pour cela qu’il nous faut la défendre !

Il nous faut donc changer de mode de pensée et (re)trouver la beauté du conflit constructif qui admet que chacun possède une part de vérité. Que dans son opposition, l’autre me permet aussi de voir mes angles morts, de requestionner mes certitudes et d’affiner ma connaissance du réel.

“Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis.”
- Antoine de Saint-Exupéry.

Il nous faut arrêter de traverser la vie dans une logique guerrière, à la recherche d’un camp à défendre, ou d’un autre à attaquer… Mais ne pas fuire le combat non plus.
Pour certains cette voie s'apparente à celle du “guerrier pacifique”.

Personnellement, pour incarner cette volonté j’essaye plutôt d'être une sorte de “diplomate combattant”, capable de s’affirmer dans la nuance, l'équilibre et le respect. Tout en sachant que je ne détiens pas LA vérité, mais seulement une partie.

Un combattant qui ne cherche pas à tuer son adversaire ou à “toujours gagner quoi qu’il en coûte”, mais plutôt à combattre la haine, l’illusion et l’ignorance qui nous sépare. À remettre en question les préjugés et les solutions simplistes et radicales qui ne nous permettront pas de répondre à la complexité des enjeux collectifs à venir.

Je mène ce combat d’abord en moi-même, et j'ai encore du boulot, mais je le fais aussi dans une approche fraternelle et j'aspire à propager cette diplomatie combattante autour de moi. Car c'est à plusieurs et avec l'apport des autres que l'on peut construire des solutions pertinentes et viables à long-terme.

Je sais, c’est plus facile à dire qu’à faire et cela ressemble un peu trop à un discours bisounours et utopique. Et cela pose aussi la question de l'utilité d'un combat qui, au regard du contexte évoqué, semblerait presque perdu d'avance.

Mais par les temps qui courent, n’a-t-on pas besoin plus que jamais d’un peu d’utopie positive ? N'est-ce pas préférable au cynisme ambiant ou à la politique de l'autruche ?

Une métamorphose pour finir sur une note d'espoir !


En prenant un peu de recul, on peut aussi se demander si cette phase de radicalité que nous vivons n’est pas finalement un passage nécessaire.

Un peu comme la métamorphose de la chenille qui doit se démener dans tous les sens pour réussir à sortir de son cocon.

Et si cette polarisation extrême que nous vivons, comme on en a déjà vu d’autres par le passé, engendrera peut-être de nouvelles mutations profondes nous permettant d’ouvrir enfin une nouvelle voie, et de transformer notre chenille en papillon !

Si c'est le cas, j'espère que cette voie sera plus juste, plus humaine, plus nuancée et équilibrée, au moins temporairement ;-) Car tout équilibre n'est que temporaire !

Mais comme disait Antoine de St-Exupéry :

Pour ce qui est de l'avenir, il ne s'agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible."

Alors que l’on vive un jour cette métamorphose ou non, continuer de rechercher une façon nuancée de rendre possible la cohabitation féconde de la diversité de notre monde me semble plus que jamais nécessaire.

Oui, cette phrase est complexe 🤓

Mais le grand chêne sous lequel j’écris ces dernières lignes (et qui illustre le titre tout en haut de cet article) me souffle dans sa grande sagesse que nous aurons sûrement besoin d'un peu de cette complexité pour faire face aux défis à venir.

Si tu veux me rejoindre dans ce combat pacifique, où me combattre pacifiquement sur le terrain des idées, tes opinions et critiques constructives seront toujours les bienvenues.